Vente sous condition suspensive de prêt : un parcours du combattant pour l’acquéreur mais un dispositif juridique protecteur

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20/01/2021
Civil - Contrat

Le prêt accordé par une banque à un montant inférieur au montant maximal prévu dans le compromis reste conforme aux stipulations contractuelles. Même si le prêt a été obtenu hors délai, le compromis de vente n’est pas caduc.
Rappelons qu’une vente sous condition suspensive produit ses effets uniquement lors de la survenance de l’événement érigé en condition (C. civ., 1304).  En cas de non-réalisation de cette condition, la vente est caduque et l’acquéreur doit être remboursé des sommes versées lors de la signature de la promesse de vente au titre du dépôt de garantie. Si la non-réalisation de la condition suspensive est du fait de l’acquéreur, ce dernier engage sa responsabilité et le dépôt de garantie versé peut être attribué au vendeur. Nombreux sont les conflits entre vendeurs et acquéreurs d’un bien immobilier relatifs à la réalisation de la condition suspensive d’obtention du prêt bancaire, celui-ci s’obtenant souvent sur le fil du rasoir. En cas de dépassement du délai, le vendeur accepte généralement sa reconduction, mais parfois, son intransigeance, malgré l’intervention du notaire, rend celle du juge inévitable.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 14 janvier 2021, il est intéressant de revenir précisément sur les faits. Par acte sous seing privé du 4 novembre 2016, M. et Mme S. acquièrent une maison d’habitation moyennant le prix principal de 770 000 euros payable comptant, par virement, le jour de la signature de l’acte authentique, sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt d’un montant maximum de 725 000 euros, dont 260 000 euros de crédit-relais.

Contenu de la promesse synallagmatique de vente. La promesse stipule : « L’acquéreur déclare, pour satisfaire aux prescriptions de l’article L. 313-40 du Code de la consommation, avoir l’intention de recourir, pour le paiement du prix de cette acquisition, à un ou plusieurs prêts rentrant dans le champ d’application dudit article et répondant aux caractéristiques suivantes : (…). En conséquence, le compromis est soumis en faveur de l’acquéreur et dans son intérêt exclusif, à la condition suspensive de l’obtention d’un crédit aux conditions sus-énoncées ». Il y est prévu que la réitération de la vente par acte authentique doit intervenir avant le 3 février 2017, la réception de l’offre de prêt devant arriver au plus tard le 4 janvier 2017. L'obtention ou la non-obtention du prêt devra être notifiée par l'acquéreur au vendeur par LRAR adressée dans les trois jours suivant l'expiration du délai ci-dessus. À défaut de réception de cette lettre dans le délai fixé, le vendeur aura la faculté de mettre l'acquéreur en demeure de lui justifier sous huitaine de la réalisation ou la défaillance de cette condition.

Déroulement des faits. – Le 16 décembre 2016, la banque Boursorama envoie aux acquéreurs un courriel informant de l’acceptation de leur demande de prêt. Le 16 janvier 2017, le vendeur somme les acquéreurs par LRAR, reçue le 19 janvier 2017, d’avoir à justifier de l’obtention ou non de leur prêt. Le 20 janvier, les époux répondent l’avoir obtenu mais que les offres sont en cours d’édition et qu’un déblocage des fonds est envisagé aux alentours du 10 février 2017. Leur offre de prêt du 24 janvier 2017 pour un montant de 539 000 euros est envoyée par courriel le 27 janvier au notaire du vendeur. Le 7 février 2017, considérant que les acquéreurs n’ont pas justifié de l’obtention de la totalité des prêts, le vendeur leur notifie une renonciation à poursuivre l’exécution de la vente. Le 23 février 2017, M. et Mme S. assignent le vendeur en perfection de la vente et en paiement de la clause pénale. Reconventionnellement, le vendeur sollicite le constat de la caducité de la promesse de vente et le paiement du dépôt de garantie. Le notaire indique avoir été crédité le 10 mars 2017 de la somme de 784 900 €, outre le dépôt de garantie d'un montant de 38 500 € déjà versé, soit plus d’un mois après l’expiration de la date du 3 février 2017.
 
Cela n’empêche pas les acquéreurs d’obtenir gain de cause en première instance. Cependant, l’arrêt infirme le jugement : le compromis de vente est caduc et la clause pénale n’a pas à s’appliquer. Pour la cour d’appel, la réalisation de la condition dans les termes prévus par la promesse n’avait pas été justifiée.
 
Les acquéreurs se pourvoient en cassation.
 
Sur la caducité de la promesse. – M. et Mme S. invoquent la règle selon laquelle le juge doit respecter la loi des parties. Or, la promesse de vente stipulait que les acquéreurs avaient l’intention de recourir, pour le paiement du prix, à un prêt d’un montant maximum de 725 000 euros, dont 260 000 euros de crédit-relais. Les acquéreurs considèrent avoir justifié, dans le délai de la mise en demeure qui leur avait été adressée par le vendeur, avoir obtenu un prêt, matérialisé par une offre de la banque, en date du 24 janvier 2017, de 539 900 euros. Le prêt obtenu était conforme aux stipulations contractuelles, puisqu’il était inférieur au montant maximal prévu, peu important que les acquéreurs aient antérieurement sollicité la banque pour un montant supérieur et que le prêt ne couvre pas le montant total de l’acquisition.
 
La Cour de cassation approuve. Au vu de l’article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Par conséquent, « En statuant ainsi, alors qu’un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
 
Sur la conservation du dépôt de garantie. – La promesse de vente stipulait que le dépôt de garantie ne resterait acquis au vendeur, par application de la clause pénale stipulée à l’acte, que si le défaut de réalisation d’une des conditions suspensives était dû à la responsabilité de l’acquéreur. Le premier moyen a montré que les conditions suspensives avaient bien été réalisées, notamment celle tenant à l’information du vendeur, dans les délais contractuellement prévu, du prêt obtenu. Par conséquent, la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen justifie la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l’article 624 du Code de procédure civile.
 
La Cour de cassation rappelle que selon l’article 624 du Code de procédure civile, « la censure qui s’attache à un arrêt de cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce. Elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire. La cassation sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation des dispositions critiquées par le second moyen ».
 
Remarque : Les exigences formelles posées par le Code de la consommation en matière d'offre de prêt immobilier ne sont édictées que dans un souci de protection du débiteur, qui peut seul les invoquer (Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-14.017), sauf s’il est convenu que le délai de réalisation de la condition suspensive est fixé dans l’intérêt des deux parties (Cass. 3e civ., 28 avr. 2011, n° 10-15.630).  Il en découle que même si le délai convenu dans le compromis est dépassé, les juges considèrent que le vendeur ne peut l'invoquer pour refuser de vendre. L’arrêt du 14 janvier 2021 va dans ce sens. Les acquéreurs avaient dépassé les délais d’obtention de leurs prêts mais la Cour régulatrice juge que la vente n’en est pas pour autant caduque. Rappelons quelques décisions antérieures qui ont précisé le régime d’un tel compromis. La condition suspensive d’obtention d’un prêt est réputée réalisée dès la présentation par un organisme de crédit d’une offre régulière correspondant aux caractéristiques du financement de l’opération stipulées par l’emprunteur dans l’acte (Cass. 1re civ., 9 déc. 1992, n° 91-12.498, Bull. civ. I, n° 309). La production par les acquéreurs d'un courrier électronique de la banque à leur intention, « comprenant proposition d'un prêt de 105 000 euros, aux conditions prévues à la promesse et d'une lettre de ce même établissement notifiant l'accord de la banque sur ce prêt » prouve l'existence, non pas d'un accord de principe, mais d'une offre de prêt emportant réalisation de la condition suspensive (Cass. 3e civ., 7 nov. 2007, n° 06-11.750, Bull. civ. III, n° 199).
 
Pour aller plus loin, v. Le Lamy Droit du contrat, nos 731 et 1628.
Source : Actualités du droit